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Arthur Rimbaud

Les Stupra


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On donne ce titre éloquent à trois sonnets attribués à Rimbaud, publiés pour la première fois ensemble en 1923. Le dernier (L'idole. Sonnet du Trou du Cul.) se trouve dans l'Album Zutique. L'obscénité des deux premiers ne tire guère à conséquence, bien que Verlaine ait extrait du premier l'épigraphe « Ange ou Pource » pour la série Filles de Parallèlement, et du second la formule « Nos fesses ne sont pas les leurs », qu'il place sous le titre de Morale en raccourci, dernière pièce de Femmes. Le fait que Verlaine attribue ces citations à Rimbaud plaide en faveur de l'authenticité de ces sonnets. Quant au Sonnet du Trou du Cul, il se trouve aussi dans Hombres de Verlaine (imprimé "sous le manteau"), avec cette explication : « Le Sonnet du Trou du Cul, par Arthur Rimbaud et Paul Verlaine. En forme de parodie d'un volume d'Albert Mérat, intitulé L'Idole, où sont détaillées toutes les beautés d'une dame : Sonnet du front, Sonnet des yeux, Sonnet des fesses, Sonnet du..., dernier sonnet. » En face des deux quatrains, on trouve encore dans Hombres : Paul Verlaine fecit, et en face des deux tercets : Arthur Rimbaud invenit.

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Les anciens animaux saillissaient, même en course,
Avec des glands bardés de sang et d'excrément.
Nos pères étalaient leur membre fièrement
Par le pli de la gaine et le grain de la bourse.

Au moyen âge pour la femelle, ange ou pource,
Il fallait un gaillard de solide grément ;
Même un Kléber, d'après sa culotte qui ment
Peut-être un peu, n'a pas dû manquer de ressources.

D'ailleurs l'homme au plus fier mammifère est égal ;
L'énormité de leur membre à tort nous étonne ;
Mais une heure stérile a sonné : le cheval

Et le boeuf ont bridé leurs ardeurs, et personne
N'osera plus dresser son orgueil génital
Dans les bosquets où grouille une enfance bouffonne.

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Nos fesses ne sont pas les leurs. Souvent j'ai vu
Des gens déboutonnés derrière quelque haie,
Et, dans ces bains sans gêne où l'enfance s'égaie,
J'observais le plan et l'effet de notre cul.

Plus ferme, blême en bien des cas, il est pourvu
De méplats évidents que tapisse la claie
Des poils ; pour elles, c'est seulement dans la raie
Charmante que fleurit le long satin touffu.

Une ingéniosité touchante et merveilleuse
Comme l'on ne voit qu'aux anges des saints tableaux
Imite la joue où le sourire se creuse.

Oh ! de même être nus, chercher joie et repos,
Le front tourné vers sa portion glorieuse,
Et libres tous les deux murmurer des sanglots ?

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L'IDOLE
SONNET DU TROU DU CUL

Obscur et froncé comme un oeillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d'amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu'au coeur de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré sous le vent cruel qui les repousse,
A travers de petits caillots de marne rousse
Pour s'aller perdre où la pente les appelait.

Mon Rêve s'aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C'est l'olive pâmée, et la flûte câline,
C'est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !
 

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